Richard-Viktor SAINSILY CAYOL

Musing Jeopardy 1.0 – Au nom de la fleur – 2017

Musing Jeopardy 1.0 - Au nom de la fleur
Musing Jeopardy 1.0 - Au nom de la fleur

Earth, Creativity & Sustainability

Colonisation, esclavage, mondialisation et sous-développement durable

Et Christophe Colomb vint aux Amériques. Ainsi naquit la mondialisation. Ce débarquement fondateur de la colonisation, entrainera génocide des amérindiens, esclavage des nègres, exploitation des ressources des territoires conquis. Tout cela a engendré un déséquilibre, une instabilité, une fragilisation considérable de la Terre entière.

La « découverte » du Nouveau Monde par l’Europe fut en fait, création d’un monde nouveau avec son cortège de deuils et de conséquences encore palpables : un nombre considérable, de pays notamment d’Afrique, d’abord colonies, puis néo-colonies, subsistent avec de faibles ressources et en dessous du seuil de pauvreté.

La mondialisation, commencée en 1492, est devenue, surtout, un asservissement généralisé avec comme moteur, le consumérisme à outrance. Lorsque l’on parle de développement durable, d’économie durable, d’écologie, on pense à la protection de la nature, de l’environnement, des plantes, des ressources minérales, végétales et animales. C’est oublier que des millions d’êtres humains réduits à l’état de biens meubles, ont durablement été soumis à des conditions atroces pour favoriser durablement le développement de métropoles et de mégapôles coloniales.

C’est en tant que créateur, que Sainsily Cayol interroge les concepts, les mots, les interstices afin de déceler le décalage, le subversif : il pose un regard durable qui allie efficacité et équité. Il fait alors le choix de traiter l’histoire coloniale de la France, en particulier la responsabilité du Premier consul dans « le désordre orchestré sur l’ensemble de la planète, par sa décision de remettre au fer des hommes et des femmes libres ». L’artiste exprime l’idée que le rétablissement de l’esclavage dans les colonies françaises par Napoléon Bonaparte en 1802 (reniant les avancées de la révolution française et ses principes fondateurs de 1794) a été « une atteinte au développement durable des pays dominés, un frein à l’évolution naturelle de plusieurs centaines d’ethnies, une extinction massive, irréparable, de ressources humaines ».

« Au nom de l’Empire, au nom de la fleur, au nom du sucre » est le sous-titre de l’installation de Sainsily Cayol, composée de deux éléments :

– Le premier élément est un panneau mural, (oeuvre hybride en techniques mixtes, peinture collage, infographie, vidéo) : Napoléon Bonaparte, conquérant, fierté et fer de lance (au sens littéral) de la France « civilisatrice », pays des droits de l’Homme, est coiffé du casque colonial surmonté de cornes, à l’instar des iconographies judéo-chrétiennes représentant le diable noir avec des cornes et des pattes de bouc. Ce que l’on pourrait prendre pour une inversion, est en réalité remise en ordre, mise à l’endroit de la réalité historique, de la perversion napoléonienne. Il tient le fouet et marche sur ce qui semble être un charnier : des têtes de noirs émergeant du sol comme enterrés vivants. Des accessoires de détention et de supplices, ainsi que les textes de justification, illustrent le contexte. Les champs de canne sont représentés par quelques plants, surmontés de la fleur de lys (un des articles du fameux Code Noir, précise qu’on devait marquer au fer rouge une fleur de lys sur la peau des esclaves fugitifs). L’artiste les a nommé « fleurs du mal ».  » Au nom du roi, au nom de la fleur, au nom de la canne et du sucre, au nom du développement des métropoles coloniales, l’esclavage a asservi, décimé, effacé des êtres humains et des cultures » précise-t-il.

Dans cette oeuvre de Sainsily Cayol, C’est d’un bouleversement durable dont il est question, et cela, au nom du développement durable de l’Europe. Dans la culture légendaire créole, on parle d’un être maléfique aux pieds de bouc : la  « diablesse » qui vient voler l’énergie, l’âme, la vie des hommes.

Napoléon aux pieds de bouc est dans notre histoire une « diablesse » bien réelle.

– Le second élément est une pyramide de conques de lambi. Le lambi est un mollusque représentatif des régions caraïbes. Le lambi est un symbole-oxymore : il condense la vie et la mort. Sa chair digeste, est très prisée et sa conque orne les sépultures traditionnelles. Il est encore vie, dans ce que la vie a de verticalité et de résistance : en effet, il servait de moyens de communication aux nègres marrons et, dans les temps contemporains, a servi d’armes, pour les manifestants. C’est aussi un instrument de musique (reconnu aujourd’hui sous le nom de « strombophone » !) qu’on retrouve dans la musique guadeloupéenne, le « Gwoka » et dans les orchestres traditionnels du carnaval.

Recyclé dans l’oeuvre, il fait face au portrait de Bonaparte, comme un tombeau des massacres coloniaux et esclavagistes (des premiers amérindiens, jusqu’aux nombreux grévistes tués durant le XXe siècle par les forces armées françaises). C’est surtout et d’abord pour l’artiste, « un rappel des résistances durables de la vie aux forces de la mort ». Cette pyramide d’armes des faibles, est comme une invitation au spectateur : « Lancer durablement la vérité contre les mensonges ». La vérité du passé est la première pierre d’ « un développement économiquement efficace, socialement équitable et écologiquement soutenable […] qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Le lambi est rythme de vie !

Ronald Selbonne, 2017